Mars 2017
Financial Afrik n°37
Denis CHEMILLIER-GENDREAU

 

La faiblesse de l’Assurance africaine n’est pas une malédiction !

Régulièrement, au gré des palmarès internationaux, l’assurance africaine se désole de se voir reléguée dans les derniers rangs en termes de pénétration : alors que les primes d’assurance représentent en moyenne mondiale plus de 6% du PIB, elles ne dépassent guère 2,9% sur le continent pris dans son ensemble et descendent même en-dessous de 1% dans près de 20 pays africains. Tous continents confondus, sur les 20 pays affichant les taux de pénétration les plus faibles, 16 sont en Afrique.

L’argument que l’on oppose souvent à ce triste constat est que l’assurance est un bien de luxe, qui ne peut se développer qu’à mesure que le PIB par habitant augmente lui-même; «si l’assurance africaine est peu développée, c’est parce que les économies africaines sont encore elles-mêmes peu développées ».

FINACTU ne partage pas cette approche défaitiste : notre expérience internationale nous démontre que même si l’assurance reste liée au développement d’un pays, elle peut aussi se développer par elle-même.

Bien sûr, FINACTU ne conteste pas le lien entre le taux de pénétration de l’assurance et le développement économique (mesuré par exemple par le PIB par habitant) : quand on regarde ces deux indicateurs pour les 118 pays dont les données sont disponibles, un lien de proportionnalité apparait, croissant avec le développement économique. En d’autres termes, plus un pays est riche, et plus l’assurance y occupe une place importante.

La droite sur le graphique représente la relation « moyenne » de causalité ainsi mise en évidence entre le niveau de développement et l’importance du secteur des assurances. Mais si ce lien est fort, il n’est pas mécanique : le graphique illustre aussi que de nombreux pays sous-performent la moyenne en étant «en dessous» de la droite, tandis que d’autres surperforment en étant au-dessus.

Le facteur qui explique le positionnement d’un pays «au-dessus» ou «en dessous» de la moyenne, c’est la confiance qu’ont les assurés de ce pays dans leurs assureurs.

Ceci est mis en évidence par l’analyse d’un sous-ensemble du continent : le Maghreb (Algérie, Tunisie, Maroc). Bizarrement, pour ces trois pays, le lien mis en évidence ci-dessus semble fonctionner à l’envers : c’est le pays avec le PIB/habitant le moins élevé (le Maroc) qui affiche le taux de pénétration le plus élevé :

Comment expliquer ce fonctionnement inversé ? Comment expliquer que l’Algérie soit largement en-dessous du taux de pénétration que son niveau de développement économique justifierait, et que le secteur des assurances du Maroc soit largement au-dessus ?

On le sait, le Maroc a entrepris, à partir de 1995, une ambitieuse réforme pour « nettoyer » son secteur des assurances. Celui-ci souffrait alors d’un excès d’acteurs, avec plusieurs assureurs en très mauvaise santé qui décrédibilisaient l’ensemble du secteur et empêchaient le développement des primes. La réforme de 1995, déclenchée par l’autorité de contrôle du secteur de l’époque (DAPS), a consisté à fermer les 5 assureurs les plus compromis du marché et à entamer une lente mais ambitieuse modernisation du cadre réglementaire. Un mouvement de concentration s’en est suivi : en quelques années, le marché marocain est passé de 27 à 18 compagnies. Sous l’effet de ce nettoyage, les assurés ont repris confiance en leurs assureurs, au grand bénéfice du secteur qui a vu ses primes croitre fortement : le taux de pénétration, qui oscillait entre 1,5% et 2% avant 1995, est rapidement monté à plus de 3%.

Cette rapide comparaison au Maghreb annonce en grande partie l’avenir qui attend la CIMA, qui a lancé elle-aussi sa révolution en avril dernier, par la multiplication par 5 du capital social minimal. Cette réforme va provoquer le même effet que la réforme marocaine : la disparition des assureurs les moins solvables, une concentration au profit d’assureurs plus forts, plus solvables et plus innovants, et à terme une forte augmentation du taux de pénétration de l’assurance.

Une analyse plus spécifique, limitée aux 33 pays d’Afrique pour lesquels les données sont disponibles, confirme deux informations importantes :

• la première est que, globalement, la même corrélation existe en Afrique entre le développement économique et le développement de l’assurance ;

• la seconde est que les pays de l’espace CIMA se caractérisent par une pénétration plus faible que la moyenne des autres pays du continent, à niveau de développement équivalent.

Cette sous-performance est sans aucun doute la conséquence d’une longue absence de réforme entre 1993 et 2015, qui a permis à quelques compagnies en déliquescence de subsister sur le dos du secteur, en ruinant la réputation de tous les assureurs, y compris les plus vertueux.

La réforme de 2016, par l’augmentation massive du capital minimal, vient mettre un terme à cette situation, et annonce, comme au Maroc, un avenir radieux.

En Tunisie, le même mouvement est aussi en marche, avec un Comité Général des Assurances animé par la même volonté implacable d’assainir le marché en forçant la mise à niveau des acteurs. Un «contrat programme» a été élaboré en 2013 qui organise progressivement cette mise à niveau, sous la férule d’une Supervision beaucoup plus exigeante.

Bien sûr, partout, dans l’espace CIMA comme en Tunisie, ce nettoyage créera quelques perturbations, et il faudra gérer ses conséquences, notamment sociales, mais le seul bénéficiaire assuré est le secteur dans son ensemble, et derrière lui les consommateurs assurés.

Si tous les pays du continent conduisaient les réformes nécessaires pour nettoyer leur secteur, le montant des primes émises connaitrait une forte croissance et pousserait à la hausse les taux de pénétration : des pays comme l’Algérie, l’Angola, la RDC, la Guinée, le Mali, la Mauritanie, la Centrafrique ou le Tchad verraient leurs primes d’assurance plus que doubler.

On le voit, grâce au vent de réformes qui souffle sur l’assurance africaine, en Tunisie depuis 2014, dans l’espace CIMA depuis une année, les perspectives du secteur sur le continent sont très favorables. Cet optimisme sera un élément important pour absorber les chocs que la recomposition du secteur va par ailleurs entrainer.

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